Enseignants, étudiants. L’alternance des fonctions n’a jamais été aussi évidente qu’ici, à l’École Supérieure du Professorat et de l’Éducation de Rennes. La profession a subi ces dernières années des modifications importantes qui ont précipité toute une génération d’aspirants professeurs dans le stress de l’instantanéité. Le risque de burn-out est omniprésent.
Un tableau noir, des écriteaux affichant les prénoms posés sur le bureau et des étudiants pas forcément très attentifs. Une classe ordinaire. Lorsque le bruit devient trop important, l’enseignant s’arrête et toise ses élèves en silence. « Classique, comme technique de prof » souffle une des étudiantes. Et cette technique ils la connaissent bien. Elle leur a été enseignée lors du séminaire « gestes et voix » dispensé au sein de l’École Supérieure du Professorat et de l’Education (ESPÉ), créée à la rentrée 2013 pour succéder aux IUFM.
En apprentissage
Cette génération arrive dans l’enseignement après la suppression des IUFM et la masterisation du recrutement voulue par Nicolas Sarkozy, réforme unanimement décriée pour avoir lancé sur le marché du travail des enseignants sans aucune qualification professionnelle. « On les formait seulement pendant la préparation du concours. Avec la nouvelle révision on les voit avant, pendant et après l’obtention du CAPES, explique Fabrice Bouchet, un des formateurs de l’école. Être prof n’est pas inné, on le devient. La charge de travail est lourde mais c’est mieux qu’avant quand même.» Le rétablissement de l’année de stage en alternance pendant la deuxième année de master permet désormais de conjuguer formation théorique, confrontation à la pratique et suivi psychologique.
Nouvelle réforme, nouveaux enjeux
Les étudiants présents dans la salle sont les premiers à expérimenter la réforme. « Ce que vous vivez cette année, je le découvre comme vous », reconnaît d’ailleurs le formateur. Lors de son cours, un temps est consacré au partage de techniques et d’activités, un autre au suivi du stage. Pour transmettre ses activités, il s’appuie sur un tableau interactif qui dynamise le cours ; tous rêveraient de voir leurs classes aussi actives ! Morpion géant pour l’utilisation du passé, décryptage d’une compréhension orale, les exercices s’enchainent pour appréhender, à plusieurs, les méthodes d’enseignement des langues où l’élève devient « acteur de son savoir ». Une démarche participative très difficile à mettre en place. De fait, au moment de faire le bilan des deux premiers mois en établissement, de nombreuses mains se lèvent pour aborder la difficulté de gérer à la fois la formation universitaire et toutes les taches inhérentes à la pratique du métier. Émilie, jeune professeure d’anglais, n’avait effectué qu’un court stage d’observation avant de prendre en charge six heures hebdomadaires en collège : « Préparer les séquences, c’est énormément de travail, surtout quand on connaît les niveaux quelques jours à peine avant la rentrée. Le tiers-temps payé mi-temps est loin d’être immérité !»
Risques d’égarement
Malgré la présence d’un tuteur dans l’établissement, la plupart des jeunes se sentent insuffisamment préparés, face à des classes aux effectifs souvent élevés. Charlotte n’hésite pas à dénoncer ouvertement le manque d’encadrement dans son établissement : « Pour moi, c’est une année de formation. Or nos tuteurs ne sont pas formés pour nous aider. C’est plus une cellule psychologique qu’une véritable aide pédagogique. » Stress, surmenage, dépression, les risques de burn-out sont omniprésents dans leurs discours. Pierre confie par exemple qu’il a failli tout abandonner, juste avant les vacances. « Tout était trop. La gestion de l’autorité en classe, la préparation des cours, les longs trajets pour aller au lycée. C’était trop d’investissement. » Une situation qui explique pourquoi les enseignants sont les seuls, avec la police, à bénéficier des services d’un établissement psychiatrique dédié et qui rappelle l’importance de l’accompagnement des novices sur et en dehors du terrain.
D.E.